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Un

modèle

de

l’inconscient

économique

Extrait du livre Inconscient économique. Approche transdisciplinaire.

Notre savoir nous autorise l’édification d’un paradigme et d’un modèle de l’inconscient économique (IE) fondés sur une mixité scientifique originale traversant et rassemblant une pluralité de disciplines, de théories et de lois scientifiques. Il ne s’agit pas de réduire ce paradigme et sa polysémie aux croyances, normes et standards méthodologiques proposés par la psychanalyse. En effet, il existe une influence déterminante de la famille dite “nucléaire” sur le développement individuel puisque la psychanalyse, comme les neurosciences, démontre que les expériences précoces posent nos bases bio-psycho-sociales. Nous devons reconnaître que la famille nucléaire ou les figures d’attachement des périodes précoces jouent un rôle primordial dans la constitution du socle psychique individuel aussi longtemps qu’ils représentent les repères de cette période critique des inscriptions mnésiques fondamentales. Or, nous voyons dans les présupposés rappelés ici, qu’il serait extrêmement réducteur de rétrécir les champs d’influences développementales à la famille nucléaire elle-même modulée et conditionnée par la multiplicité des champs examinés.

Nous devons nous rendre à une évidence résultant de ces travaux: il existe une production de subjectivités. Il est donc impératif de prendre en considération les interrelations factorielles, leur circularité, leur reproduction et leur évolution dans la formation de l’IE individuel et collectif. Pour ces raisons, écouter, dans un cadre clinique, l’énonciation individuelle dans sa singularité, c’est écouter un orchestre symphonique où joue simultanément ou alternativement les instruments du pouvoir, de l’esthétique, du social, de l’économique, de la science, de l’histoire (come de l’Histoire et de leurs conditionnements), de l’affect, du sexuel, de la vie, de la déraison, de la mort, du chaos, de l’infini.

 

Notre modèle de l’IE tente donc de transposer et de figurer l’écosystème et ses paradigmes implicites générés par le cybercapitalisme; il extrait de notre parcours une série de propositions théoriques qui nous semblent les plus saillantes pour une schématisation. Sans doute, il s’agit d’une projection et d’une illustration réduites de nos formulations. Comme pour tout modèle, il est question de montrer et d’organiser en un coup d’œil une réalité objective, les relations entre les faits et leur intelligibilité, ainsi que la structure d’un raisonnement fondé sur des règles logiques (autrement dit sa rationalité). Dans ce cas, il est possible de déduire l’importance primordiale de la famille nucléaire, mais aussi des conditionnements “éducatifs” et des colonisations cognitives précoces sur le développement individuel qui, à ce niveau comme à tous les autres, sont exposés à des injections et des extractions qui représentent les actions prototypiques reliant entre elles les propositions de ce modèle. 

En effet, le cybercapitalisme procède par injection permanente de codes consuméristes/productivistes disséminés et déguisés par la propagande, le consensus, l’éducation, la société du spectacle, la communication, l’influence sociale, les algorithmes, l’hyperactivation des pulsions scopiques situées au plus près des zones limbiques et émotionnelles, etc. Il procède simultanément par extraction, via la surveillance numérique, l’intelligence artificielle, la collecte de données privées et le profilage individuel, la transformation du psychisme et du corps en unités commercialisables et exploitables, l’exigence de passage à l’acte numérique et de liberté d’expression mettant à disposition de la gouvernance numérique un nombre croissant de données, etc. Tous les composants de ce modèle sont exposés aux incessantes opérations bidirectionnelles d’injection-extraction de codes économico-politiques.

Au sein de ce modèle, le cybercapitalisme apparaît comme la plus haute instance gouvernementale de la vie psychique, sociale, politique, commerciale du XXIe siècle. Elle agit simultanément sur la famille nucléaire et sur l’IE individuel. La famille nucléaire est présentée ici comme une antichambre du cybercapitalisme, un lieu à part et fortement interconnecté à la gouvernance. Lieu à part car dans les familles se condensent à la fois des histoires singulières (psycho-affectives et sexuelles), des transmissions intergénérationnelles, des expressions de la nature humaine (s’il en existe une dissociable de l’environnement), tout cela mêlé aux conditionnements, à l’éducation et aux colonisations cognitives de plus en plus précoces via les smartphones considérés comme des prothèses inhérentes aux processus que nous décrivons.

Le cybercapitalisme est donc relié à l’équation accumulation-production-propagande-prothèses-pathologie-profit imposée par le modèle PSYOP*. Il est question d’accumuler (des objets, des propriétés, des contenus numériques, des likes, des codes, des informations, des protocoles, des procédures bureaucratiques), de produire (ce qui est censé être accumulé, via la co-production), de manipuler les opinions, les idées, les choix et les perspectives via la propagande, de créer la dépendance de prothèses destinées à remplacer ou à améliorer des opérations cognitivo-comportementales tout en répondant aux lois inoculistes-extractivistes, d’induire des pathologies très rentables pour l’industrie du bien-être et de la consommation. A propos de prothèse, nous rejoignons Ellul (2012), d’avis que le conditionnement technologique a créé un nouveau type psychologique :

qui porte dès la naissance l'empreinte de la méga-technologie sous toutes ses formes; un type incapable de réagir directement aux objets de la vue ou de l'ouïe, aux formes des choses concrètes, incapable de fonctionner sans anxiété dans aucun domaine sans l'assistance de l'appareillage extra-organique fourni par la déesse-machine” (Ellul, 2012, p. 338).

Rien ne pourrait avoir lieu sans la programmation neuro-cognitivo-comportementale et émotionnelle à laquelle nous avons consacré un des chapitres de ce livre. La neuro-culture et le neuro/nanomarketing, l’hyperstimulation permanente des cognitions (mobilisant l’attention, les inscriptions mnésiques*, l’amorçage* perceptif sensibilisant*/menaçant, l’usage systématique de conditionnements classiques et opérants pour modifier les comportements) contribuent amplement au remodelage des connexions synaptiques et à la nouvelle programmation neuro-cognitivo-comportementale. A cela s’ajoute l’émergence de nouvelles politiques et stratégies de modification et de contagion émotionnelle virale ciblant plus particulièrement la peur et la colère combinées avec des états agréables liés aux likes, aux récompenses et aux promesses d’une augmentation narcissique prothétique. Tout cela induit des comportements spécifiques via de nouveaux traitements cognitifs et la création d’un capital émotionnel.

Notre modèle est « posé » (voir sa partie inférieure qui fonctionne comme un socle) sur un champ de mines psychologiques de nature PSYOP*. Un des objectifs de l’agenda cybercapitaliste que nous examinons est la fabrication sociale, politique et culturelle de sujets obsédés par (ou esclaves de) la logique consumériste/productiviste tout en étant eux-mêmes des objets consommables (assujettis à l’extraction de données concernant leur identité en devenir). Les stratégies PSYOP* ne sont pas disséminées uniquement dans l’écosystème ; elles le sont de plus en plus dans les inconscients individuels et sont à l’origine des pathologies de la guerre économique et psychologique. Les mécanismes de l’influence sociale (étudiées précédemment) démontrent la puissance de la pression implicite, involontaire et inconsciente exercée par la société et les rencontres sociales via une multitude de vecteurs. Divers phénomènes (la conformité, l’identité, l’intériorisation) contribuent à la contagion sociale permanente largement exploitée par les réseaux sociaux numériques qui en font un champ de mines global. L’usage de la séquence* hypnotique par la culture du divertissement imposée par l’industrie du show business, participe, à l’aide d’inoculations de codes d’essence culturelle savamment associés aux codes économico-politiques, à la fabrication de sujets consommables/consuméristes/productivistes dont les mentalisations conscientes et inconscientes sont irrémédiablement enchaînés aux lois dictées par la société de consommation et de destruction.

Enfin, ce modèle accorde une place à part aux programmations scopiques* dans la mesure où le cybercapitalisme est dorénavant fondée sur le colossal pouvoir iconique qui ne fait que capturer l’individu dans la logique simultanée fight, flight and freeze (combat, fuite en avant et immobilisation dans le doomscrolling* scopique). La norme sociale techno-digitale assujettit l’individu à une iconodictature agissant par des données numériques programmables ayant des répercussions sur le statut d’une représentation devenue programmable autant que le sujet, ses affects et ses pulsions. Il semble, comme évoqué auparavant, que la plupart des traitements bio-cognitivo-comportementaux et émotionnels sont rapportés à la vision, la principale modalité sensorielle chez l’homme comme chez les autres primates, à laquelle participeraient plus de 30 aires cérébrales différentes. L’exploitation de cette modalité par l’induction de la peur (source de biais cognitifs activant l’attention et l’engagement en ligne) génère une véritable contamination interne pouvant être pensée comme une forme de pollution intégrable dans une équation générale des contaminations psychiques-environnementales. Les suicides et les actes d’automutilation de nature pathologique entraînés par Instagram (application centrée sur l’image) démontrent les puissants effets de fétichisation, d’aliénation et d’anéantissement associés au colonialisme scopique. Or cet effet n’est que la pointe de l’iceberg d’une large série de pathologies, de meurtres sociaux et psychiques qui sont indissociables d’un capitalisme forcément sacrificiel, mais qui semblent prendre des dimensions disproportionnées dans le régime cybercapitaliste.

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