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CHANGEMENT DE SEXE CHEZ LES ENFANTS

Ce commentaire est une réaction vis-à-vis de l'article paru dans L'Express, intitulé:

Changement de sexe chez les enfants : "Nous ne pouvons plus nous taire face à une grave dérive".

Une cinquantaine de psys, médecins et intellectuels dénoncent une "emprise idéologique sur le corps des enfants" faite au nom de l'émancipation de "l'enfant-transgenre".

La prise de position des professionnels signataires de cette tribune traduit une inquiétude légitime, mais qui fait l'économie - par manque d'espace ou par une nouvelle radicalité idéologique qui risque de réinstaurer la binarité? - d'une analyse des éventuels facteurs à l'origine de ce changement (ou évolution?) tout en accusant des idéologies libérales de favoriser l'inflation de demandes de changement de sexe.

Or il serait souhaitable de questionner avant tout l'intersection de facteurs comme l'emprise idéologique (via la propagande numérique, la surexposition aux images comme vecteurs d'identifications démultipliées), l'émergence d'une queersexualité psychique qui est fondamentale et qui peine à être reconnue en raison d'une normativité résistante, et un système politique et économique qui capitalise et surexploite les expressions humaines, cognitivo-comportementales et
émotionnelles tout en polluant les esprits et la vie.

Nous savons que ces facteurs sont là et ont des effets psychologiques, mais qui peut donner une réponse claire quant à l’origine de l’identité trans contemporaine ? Ou qui est prêt à changer le système qui favoriserait certaines "dérives" si l'évolution dont nous parlons s'avérait être une conséquence de ce système? Qui peut arrêter Instagram qui, selon les révélations récentes de Frances Hagen concernant des recherches internes, sait depuis des années que la plateforme crée un risque suicidaire chez les jeunes filles en raison du décalage entre l'image réelle et l'image idéale, filtrée, modifiée? Ou qui sait (et avec quels outils - normatifs ou non) ce qui est bon ou mauvais pour un individu à l'heure où les repères et valeurs de la "civilisation" volent en éclats, submergés par la dégénérescence qu’ils ont produite?

Au fond, les vérités humaines et scientifiques ne se trouvent pas forcément là où elles ont été définies et situées par les structures (hétérosexuelles) du pouvoir et des codes qu'il insère dans nos inconscients ; elles sont heureusement multiples, fragmentaires, historiques, singulières, imprévisibles et inconciliables avec la norme établie, bien que modifiées par cette dernière. S'immiscer, contrôler à l'heure actuelle le choix du sexe et du genre n'est pas aussi de l'ordre de la dérive ou de la régression idéologique ? Être vivant c’est être femme, homme, animal, monstre, volcan, infini, chaos, particule, selon des potentialités qui échappent, heureusement, à la norme. Être, de ce point de vue, c’est être extravagant, anormal, exceptionnel, paradoxal, excentrique, multiple, imprévisible, en opposition, tout en faisant semblant de coller à une norme sociétale qui s'est transformée en injonctions de la société de consommation.

Les pensées queer s’affirment (…) en rupture contre toute identification, qu’elle soit masculine, féminine, hétéro, gay, lesbienne, bi ou trans… Cette description hors des identifications prône une prolifération des identités sexuelles comparables à des simulacres sans réelle consistance : à partir des marges, les figures du genre ne sont plus deux mais pullulent à l’infini (Fabrice Bourlez, Queer psychanalyse. Clinique mineure et déconstructions du genre, 2018, p. 38).

Et n'est-ce pas le chaos induit par Internet, les réseaux sociaux et les crises que nous traversons qui permet, simultanément et paradoxalement, la révélation des multiplicités en tout genre? N'est-ce pas aussi l'intensité de la souffrance subjective de l'individu par rapport à ce qui lui a été assigné qui est déterminante? Il reste donc à voir si le refus d'une assignation traduit la liberté d'être soi, le chaos sociétal, la défaite de l'emprise normative ou une souffrance psychologique due à des expériences précoces (elles-mêmes façonnées par les lois sociales, culturelles, économiques, etc.). Encore une fois, nous n’avons pas la réponse, uniquement quelques pistes. Et si la prémisse d'une étiologie liée à des expériences précoces était vraie et prouvée, quelle sortie de la configuration alors que, selon une responsable du Refuge Genève (lieu d'accueil trans), la plupart des tentatives de suicide ont lieu à la sortie d'une consultation psy? Et si toutes ces problématiques identitaires et sexuelles étaient aussi résistantes à la thérapie psychologique que l’homosexualité ou les trans-identités ? Faut-il pathologiser ou plutôt déconstruire le cadre normatif et sa violence à l’origine d'une souffrance qui se situe bien en amont de l'affirmation trans et des étiquettes psychopathologiques ?

Il est tout aussi vrai que depuis 2001, selon American Foundation for Suicide Prevention, plus d'une douzaine d'enquêtes distinctes auprès d'adultes transgenres aux États-Unis et dans d'autres pays ont révélé que des tentatives de suicide à vie étaient signalées par 25 à 43% des
répondants[1]. Mais là aussi, la tentative est systématiquement attribuée à des facteurs internes et non pas à des codes familiaux, à des rencontres sociales ou médicales qui invalident son choix et tout en invalidant du même coup l'ensemble de la subjectivité, de sa singularité et de son potentiel chemin de vie. L’éventuel tableau clinique dissocie difficilement les éléments pathologiques individuels en lien avec le développement, l’environnement, les oppressions normatives, le
rejet social, les prises en charge médicales et leurs effets iatrogènes, etc. - facteurs qui sont indissociables. Il est évident que certaines pratiques et idéologies risquent d’alourdir le tableau et que le devenir des personnes trans demeure complexe en raison des contextes sociaux, de la médecine, de la politique, de l'économie, etc. Dans les manuels de psychopathologie on ne dit pas que la pathologisation par la norme contribue à la croissance de l'industrie du bien-être, ni comment intervenir pour modifier le système. C'est à ce niveau qu'il faut opérer le changement et non pas dans le choix d'être trans. Nous pourrons comprendre plus spécifiquement les effets isolés de ces facteurs lorsque nous pourrons isoler la personne trans du reste des facteurs, pour décider ensuite si la réassignation sexuelle est à l'origine des tableaux cliniques observés. Mais il est impossible. Raison pour laquelle il est impossible de tirer des conclusions valables comme de supprimer le désir trans.

Il ne reste plus qu'à accompagner le désir de l'autre sans appliquer de critères normatifs, former des professionnels en dehors des codes du complexe industrialo-académique, créer la confiance et questionner ensemble, dans une perspective critique aussi, les origines, les options, les réaménagements possibles, tant au niveau individuel que collectif.

[1] American Foundation for Suicide Prevention, The Williams Institute
(2014). Suicide Attempts among Transgender and Gender Non-Conforming Adults. Findings of the National Transgender discrimination survey. Disponible en ligne :
http://stopsuicide.ch/wp-content/uploads/2017/07/AFSP-Williams-Suicide-Report-Final.pdf

Lire aussi (PDF intégral): Poenaru, L. (2020). Au-delà de la bisexualité constitutive: la queersexualité psychique. In Analysis, revue transdisciplinaire de psychanalyse et sciences, 4 (3), 383-393.

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